Parmi les blocages mentaux qui m’empêchaient d’accepter le hijab : la mer. La baignade. Le monoï, le bronzage, les transats ! Bref, l’été et l’ambiance à la Magic system. 

Le cycle des années que j’avais vécu jusque là était ainsi fait que l’automne correspondait à la rentrée des classes, l’hiver était le temps de la morosité, des journées courtes, le froid et la grisaille; le printemps amenait des éclaircies et, surtout… il annonçait l’été ! La fin des cours et les préparatifs pour les grandes vacances. La vie qu’on aime ! C’est à ce moment que sortaient les hits de l’été, qu’on se découvrait, qu’on commençait à sortir de nouveau.

L’été, je l’attendais tellement. Depuis toujours, mon papa nous amène en Algérie chaque été. Notre maison est à quelques minutes de la plage à pied. La mer est si importante pour moi. Mes souvenirs d’enfant y sont attachés, l’air marin me remplit toujours d’autant d’enthousiasme. Même le sable qui se colle sur les pieds, qui salit la voiture, qui cause à papa des crises de nerfs, même ça, j’aime bien ! Et je me disais qu’avec le hijab, je devrai y renoncer. C’était un sacrifice qui m’effrayait. 

Un été, en 2020, j’étais avec des amies à la plage à Boumerdes. Nous étions quasiment seules sur le sable. L’une d’elle portait un ensemble qu’on appelle « burkini » dans la langue de Molière (meskine Molière…). Elle ne le sait pas, mais ce jour-là, elle m’a convaincue ! Je l’observais et j’ai vu se dénouer le noeud nommé « hijab-à-la-mer » dans ma tête. Elle était avec nous, on discutait de choses et d’autres, parfois on s’entendait pour une rapide baignade et on était bien vite de retour sur le sable. Elle avait passé la journée avec nous sauf qu’elle avait une tenue bien plus convenable que la nôtre. Son image reste inscrite dans ma mémoire. Qu’ الله la préserve ! C’est par son seul comportement, en étant elle-même, qu’elle m’a aidé à me libérer de fausses croyances. Vraiment, assumer l’islam est un moyen d’y inviter les gens, paisiblement. 

De retour à Paris, j’ai fouillé sur internet pour trouver le modèle de burkini qui me conviendrait. J’avais enfin accepté le hijab depuis quelques semaines et j’allais me rendre à la mer dans les prochains jours. Mes critères étaient les suivants : 

  • Il me fallait une tenue de baignade pratique et confortable.
  • Il me fallait une tenue qui resterait large et jamais moulante même mouillée.
  • Il me fallait une tenue qui sécuriserait ma ‘awra même dans l’eau (pas de mouvement du bonnet sur la tête ou des vêtements). 
  • Il me fallait une tenue aux couleurs neutres. 
  • Il fallait aussi éviter de débourser une grosse somme pour cette tenue ! 

J’ai alors constaté que l’offre était très limitée ! Je trouvais certes des tenues de baignade mais impossible de réunir tous mes critères ! Souvent, les tenues étaient moulantes et ressemblaient à des tenues de plongée : du néoprène qui moule le corps. Quand je trouvais des choses à peu près convenables, le prix dépassait les 70 euros. Je désespérais de dénicher l’offre parfaite ! Après avoir épluché toutes les offres en ligne, j’ai fini par opter pour le « Mayo Bella » sur le site modanisa.com que j’ai payé une trentaine d’euros. C’est un ensemble en polyester non-doublé, très léger. Le pantalon était suffisamment large pour ne pas coller au corps même mouillé. Le haut était une espèce de veste qui descendait jusqu’aux genoux. J’ai pris deux tailles au-dessus de la mienne pour m’assurer de la largeur de l’ensemble. Le bonnet s’enfilait comme une cagoule et tenait bien dans l’eau. Cette tenue m’a permis de profiter de quelques moments de plage en Indonésie. En tout état de cause, les plages étaient souvent désertes, je n’ai pas eu à me poser beaucoup de questions. L’été suivant, nous sommes allés en Espagne en famille. Et là, la donne a changé. 

J’ai enfilé ma tenue et suis descendue à la plage à Castelldefels. Il était 8h du matin, l’endroit était encore peu fréquenté, quelques mamies promenaient leur chien. Vers 9h30 la plage a commencé à se remplir et, immédiatement, je me suis sentie en décalage avec l’environnement où je me trouvais. Des femmes étaient allongées sur le sable, les seins à l’air. Quand elles se levaient, seul un bout de ficelle servait à dire qu’elles n’étaient pas totalement nues. Des hommes les accompagnaient, ils s’allongeaient et barbotaient ensemble. Certains étaient en slip de bain. Des groupes de jeunes se retrouvaient sous un parasol. Certains buvaient des bières, diffusaient leur musique dans des enceintes. Très peu de personnes prêtaient attention à moi, parfois je remarquais des regards curieux. Pourquoi s’inflige-t-elle cela ? Semblaient-ils dire. Vraiment, je n’avais rien à faire là où je me trouvais. Ma tenue qui essayait si fort d’être pudique n’avait plus aucun sens au milieu d’un bain de nudité assumée et recherchée. Je pris mes affaires et remontai à la maison. Cette expérience à la plage m’a laissée pensive. 

Préserver ma pudeur m’oblige à sélectionner les lieux que je peux fréquenter. Mon habit de musulmane m’oblige à une éthique certaine. Je prenais conscience de l’incohérence de rechercher les plaisirs estivaux selon la conception des « Occidentaux ». La plage, la nudité, la mixité, abandonner son corps aux rayons du soleil pour le retrouver bronzé et faire des photos ensuite, travailler toute l’année en attendant ces moments… Tout cela me paraissait bien lointain. Je réalisais que je n’y avais plus goût. Mon plaisir n’était plus là. 

À partir de ce jour, je descendais à la plage très tôt le matin et je remontais vers 9h. En fin de journée, je me promenais sur le front de mer pour profiter de l’air marin alors que les gens avaient largement déserté les lieux. J’aime toujours autant la mer mais je suis devenue exigeante sur les conditions pour pouvoir en profiter. Alors que j’avais focalisé mon attention sur la parfaite tenue pour se rendre à la plage, j’avais oublié de réfléchir à ce qu’il s’y passe. 

À l’avenir, in chaa الله, je rechercherai des lieux préservés, peu fréquentés et nous nous y rendrons au tout début de la journée pour profiter d’une baignade rafraîchissante tout en évitant la chaleur d’un soleil d’été ! Oui, la tenue en polyester tient chaud et n’est pas conçue pour s’exposer longuement au soleil. 

J’ai renoncé à l’ambiance Magic system mais, finalement, j’ai trouvé de l’apaisement avec des méditations sur l’été, le cycle des saisons, la façon dont on organise notre vie en fonction des plaisirs estivaux. Tout cela ne fait plus grand sens quand on le voit comme le maigre plaisir des salariés qui travaillent toute l’année et ont l’impression de vivre cinq semaines en été. 

J’aime donc toujours autant l’air marin mais j’apprends à le savourer selon d’autres codes. Une réflexion permise par mon hijab à la mer al hamdouliLah.