Je n’ai jamais fait l’économie d’une seule parole pour exprimer le désarroi que m’inspire l’Algérie. Incivilité du peuple, saleté et désorganisation des espaces publics, médiocrité des infrastructures, marginalisation de la plupart du territoire, économie de rente et entrave au développement d’initiatives innovantes, corruption et impitoyable bureaucratie, désespoir de la jeunesse… et on pourrait poursuivre ainsi encore longtemps ! Pourtant, après quelques mois de préparation, je m’y suis installée ! Et je vous écris cette première newsletter depuis mon balcon en plein coeur d’Alger. J’ai devant les yeux un décor pittoresque de bâtiments autrefois blancs aujourd’hui recouverts d’une épaisse couche de poussière et de pollution. Je sais en apprécier le charme mais je suis aussi bien obligée, chaque jour, de faire l’amer constat du gâchis innommable qui s’étale devant moi. Alors pourquoi avoir fait le choix de vivre en Algérie si le pays est si désespérant ? Je vous dis tout ! 

Je suis née en région parisienne en 1995 et j’ai vécu toute ma vie en France. Papa Abdel a mis un point d’honneur à ce que ses enfants connaissent leur pays d’origine et c’est ainsi que j’ai découvert et côtoyé l’Algérie très régulièrement dès les premières années de ma vie. À la maison, j’entendais les discussions des adultes sur ce pays aimé et détesté tout à la fois et ce peuple ingérable et ce gouvernement indigne et ces horribles douaniers et ces « parkingueurs » au culot infini… J’ai compris très tôt la complexité de notre histoire migratoire et l’ambiguïté de notre vie en France. On aime notre pays mais on déteste la vie là-bas, on vit en France parce que c’est mieux que chez nous mais ce ne sera jamais vraiment chez nous. Je sais que vous comprendrez cette position fragile de l’enfant d’immigrés mais, avez-vous réussi à la dépasser ? Pour que la question « Tu préfères l’Algérie ou la France ? » ne soit plus jamais un problème dans ma vie, j’ai fait de sa réponse une obsession durant toute mon adolescence et jusqu’à mes 25 ans. Finalement, je suis parvenue à donner un sens à mon Histoire en méditant sur le sujet de la civilisation ! Le noeud de mon problème résidait en fait dans ce sujet : à quel projet de civilisation je voulais participer ? Quelle était ma vision de la France, du monde occidental en général ? Quel regard est-ce que je voulais porter sur l’Afrique, sur le monde de la Tradition en général ? Qu’est-ce qui rend la vie attirante en France qu’on ne peut pas atteindre en Algérie ? Et pourquoi ?

Méditer sur ces questions m’a amené à constater avec force cette évidence : la France est un pays qui s’est construit longtemps avant ma naissance et, après tant d’années de « développement », le pays a atteint un niveau de confort et d’organisation appréciable. Les villes sont terminées, les espaces publics sont disponibles et les gens savent en profiter et les partager, les services publics fournissent -pour l’instant- des prestations de qualité (instruction, soin, sécurité sociale etc), les routes sont nombreuses, les citoyens sont impliquées dans la vie politique du pays (zaama). Alors qu’en Algérie, tout reste à faire et ce qui a été fait jusque là ce n’est pas beaucoup plus qu’un misérable mimétisme dans une insouciance permise par la rente des hydrocarbures. 

Il faut dire que les blocages sont sérieux et les verrous solides en Algérie, c’est ce qui empêche un véritable développement*. Les puissances occidentales, la France et les États-Unis en tête, veillent au grain pour empêcher l’émancipation du pays. Ils sont aidés par les élites locales, corrompues et insatiables. Aussi, je n’espère pas changer l’Algérie ou impulser une quelconque transformation en vivant ici. Ce qui me motive dans ma vie ici, à ce stade de ma vie, c’est d’observer un pays qui se construit -et se détruit tout à la fois…Il y a quelque chose de fascinant à côtoyer des villes en perpétuelle construction, des habitants qui s’accoutument au désordre, une monnaie instable, des marchandises qui viennent à manquer régulièrement. Vous savez ce que cette qualité de vie suscite en moi ? Un irrésistible réveil et une puissante motivation. Ici, la vie est dure, elle est vraie et elle nous jette à la figure l’obligation de penser, d’agir, de s’organiser. Tandis que la vie en Europe me laisse une impression désagréable de surjoué… Comme si ma place là-bas n’était que celle d’un robot programmé pour tenir un rôle dans une machine complexe qui doit continuer de tourner. Et toute cette machinerie est si bien huilée qu’on s’y insère sans se poser de questions ! On grandit, on étudie, on travaille, on contribue à financer l’État, on reçoit un peu d’avantages en retour, on met au monde des enfants et on va vers notre enfant à mesure qu’ils prennent nos places dans la machine. La facilité de cette vie m’angoisse alors que la vie dans cette horrible Algérie me maintient en éveil, ne me laisse pas de répit, m’oblige à observer, penser, chercher à comprendre comment se construit une civilisation dans une société en démarrage ! Rien ne marche comme prévu en Algérie, c’est épuisant… Mais c’est aussi une stimulation inépuisable (parce que les situations compliquées sont inépuisables ici) ! 

Alors oui, cette mentalité ne m’est permise qu’en raison de ma situation privilégiée puisque j’ai la nationalité française ce qui m’autorise à voyager aisément et je peux travailler de mon domicile. Je ne subis pas les injustices et les freins auxquels condamne la société algérienne, je fais le choix de m’y installer en peu en qualité d’auditeur. C’est ici que mon existence prend du sens, je sens être plongée dans la réalité d’une société qui se construit et cela m’oblige à constamment m’adapter. Je délaisse donc le confort européen pour ce qu’il a d’aliénant pour la vie en Algérie avec tout ce qu’elle a de contraignant, je perds donc en qualité de vie pour gagner en niveau de conscience ! 

Malek Bennabi disait qu’à notre époque, le musulman a perdu la capacité d’aller au-delà de la pelure des phénomènes. Il vit comme il respire : sans en avoir conscience. Il se laisse dépasser par le niveau de sophistication du monde moderne et ne cherche plus à comprendre comment marche ce monde. Il est éteint mais il ne s’en plaint pas, il ne le sait pas ! C’est tout ce que je souhaite éviter, pour vous et moi ! Mais rassurez-vous, pas besoin d’emménager en Afrique pour élever notre niveau de conscience. Le voyage est intérieur, al hamdouliLah. 

Qu’ الله le Très Haut nous accorde le discernement, l’intelligence du coeur et la sagesse. 

À mes coeurs connectés,

Inès

*Ce qui empêche le véritable développement, c’est en premier lieu l’absence de vision et de passage à l’action  de la part des Musulmans… Mais c’est un thème que l’on développera plus tard in chaa الله.

 

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