L’autre soir, une amie d’enfance m’a posé une question gênante. Elle m’a demandé « comment et pourquoi je suis rentrée à fond dans le dîne ? ». Vous avez déjà entendu cette expression, « à fond dans le dîne » ? Pour moi, ce n’était pas une première. J’ai déjà discuté avec des amies qui m’ont partagé leur parcours et m’ont raconté comment elles sont rentrées « à fond dans le dîne ». Ces mots, qui semblent désormais consacrés, sont suscités, pour une femme, quand elle se met à porter le hijab, à pratiquer la salât en son temps ou qu’il lui arrive de réfréner certains sujets de conversation pour éviter les dounoub. Voilà les signes ostentatoires de la personne rentrée à fond dans le dîne. On dirait presque la liste des signaux de la radicalisation du ministère de l’intérieur, un comble ! 

Dans mon vocabulaire, cette expression est honnie. Oui, il y a un tournant dans ma pratique de l’islâm. Je ne portais pas le hijab et puis du jour au lendemain, je l’ai mis. Je n’interrompais pas mes activités pour prier, aujourd’hui je le fais. Il m’arrive aussi de témoigner mon désaveu de certaines conversations auxquelles j’aurais pu prendre part dans le passé, des futilités, des médisances, des sujets dont on ne maîtrise rien. Bref, j’ai raffermi mon islâm al hamdouliLah ! Mais je ne dirai pas que je suis rentrée à fond dans le dîne pour plusieurs raisons. Déjà, je suis gênée par l’effet de rupture que cette expression induit. Comme s’il y avait un avant-après, un tournant, une page qui se tourne.Or, dans les faits, il n’y a pas eu d’avant-après quand j’ai porté le hijab par exemple. Je cheminais mais cela n’était pas visible. Je portais des jeans slim et j’aspirais à autre chose, je suivais la mode par conformisme social et ignorance de mes obligations mais j’aimais الله et je voulais m’améliorer pour mériter Son amour. J’ai cheminé longuement dans la voie d’ الله pour accepter la soumission au hijab et aimer ce commandement. Je ne pourrai jamais expliquer le choix du hijab en quelques mots, ou alors ce serait occulter une large part de la réalité. La réalité, c’est qu’une révolution s’est opérée en moi quand j’ai choisi l’islâm comme mode de vie et vision du monde. C’est ainsi que j’ai compris et accepté le hijab par exemple. Je vis l’islâm et je cherche à l’incarner parce que je comprends, dans mon coeur et dans ma raison, que c’est la voie du succès sur Terre et dans l’Au-delà. Comment exprimer ceci si l’on réduit mon cheminement complexe à un passage « à fond dans le dîne » ? 

À mon sens, cette expression traduit une vision laïque du dîne. Quand mon amie m’a demandé comment j’étais rentrée à fond dans le dîne, j’ai eu l’impression d’entendre « pourquoi es-tu rentrée au couvent ? » ou « ça se passe au monastère ? ». Comme si mon hijab et les obligations de l’islâm en général auxquelles je me soumets étaient synonymes de renoncement à la vie terrestre. J’avais envie de lui expliquer que le renoncement qu’elle constatait n’était motivé que par une vision nouvelle de la vie, meilleure, saine, totale, et pleine de réjouissances. Il n’a rien d’un sacerdoce. C’est une révolution pleine d’intelligence, d’épanouissement et de justice. C’est une façon complète de vivre et d’expérimenter la vie sur Terre. Je ne suis donc pas rentrée à fond dans le dîne parce que mes cheveux sont cachés, mon corps est tenu secret, mes mots se veulent mesurés ou parce que mes pensée sont surveillées… Je me suis raffermie dans le dîne d’ الله parce qu’ainsi on comprend enfin le sens de la vie sur Terre, on sait comment investir son temps, on sait réformer sa personne, on aspire à la justice pour tous. On a des idées innovantes pour la société, on s’exprime aussi artistiquement et culturellement. On existe à part entière ! Pas en rupture du monde, pas moins que les autres. Le désaveu des pratiques anciennes est un acte pour la justice d’ الله, pas un renoncement pieux. Le dîne est un mode de vie et une vision du monde. C’est un engagement total que l’on peut exprimer de façons très diverses : dans le commerce, dans les sciences de l’éducation, dans la gestion de la vie en communauté, dans les arts etc. S’imaginer qu’il s’agit en fait d’une vie à côté de La vie, c’est adhérer à une vision chrétienne de l’islâm où il y a les commerçants, les dirigeants et les religieux, là-bas, au loin, qui serve de caution morale pour tout le monde. Ceci n’est pas l’islâm. Je vis le dîne d’ الله quand j’accomplis ma salât, quand je jeûne, quand je préserve ma pudeur dans l’espace public mais aussi quand je m’instruis, quand je m’engage dans une association, quand je discute avec vous sur les réseaux, quand je prends ma casquette d’entrepreneuse. L’islâm est un dîne total al hamdouliLah ! On n’entre pas à fond dans le dîne, on vit pleinement le dîne. Sinon, on confond l’islâm avec une simple religion. Et dans mon vocabulaire, je n’utilise pas l’expression « à fond dans le dîne » autant que j’exclus le mot « religion » pour parler d’islâm. Mais ceci est une autre histoire ! 

 

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