Pseudo : Methodiya

Au collège, j’avais un skyblog, comme toutes mes copines à l’époque. On prenait des photos et on essayait d’imiter les stars. On écrivait des citations dramatiques sous nos publications, comme si on vivait des choses extraordinaires et qu’on avait des tonnes de jaloux à nos trousses. C’est que les chansons de Rap et RnB qu’on écoutait nous montait à la tête et on s’y croyait ! Après l’école, les histoires commencées pendant la récréation se poursuivaient sur MSN. Plus tard, Facebook a pris la relève. Je changeais de statut peut-être trois fois par jour pour indiquer où j’étais, avec qui j’étais, ce que j’écoutais comme morceau à la mode, et puis, je partageais des petits textes, des anecdotes. J’y ai tellement pris goût que j’ai ouvert une page publique et ai commencé à écrire une histoire totalement dramatique, mi-réelle-mi-fictive. On appelait cela une « chronique ».

Avec les smartphones et la démocratisation des forfaits mobile internet, une nouvelle ère commençait. J’étais devenue le metteur en scène de ma propre vie. Chaque jour, au saut du lit, c’était le début d’un nouveau reportage et mes activités quotidiennes devaient devenir un évènement « snapable ». C’est un formatage sérieux de la pensée. Plutôt que de vivre ma journée, j’inspectais les moments qui la composaient pour saisir ceux qui feraient un bon matériau pour « ma story ». Parfois, il n’y en avait pas alors il fallait les provoquer, les créer ou les inventer… Et voilà comment je me suis mise au service des réseaux sociaux et leur ai donné, pendent trop longtemps, une part gigantesque que mon attention et de ma pensée. Je ne le réalisais pas parce que tout le monde ou presque était comme moi ! Toutefois, la particularité de mes reportages (mes stories), c’est que j’en n’étais pas l’acteur principal. Il ne s’agissait pas de photo de moi ou autres divagations narcissiques. Mon style, c’était plutôt les observations à caractère sociologique, avec une pointe d’humour, à partir de mon quotidien, sur le chemin de la fac, en voyage, pendant le visionnage d’un documentaire ou lors d’une simple scène de vie. Là encore, j’y ai tellement pris goût que j’en ai fait une activité à part entière. En 2017, j’ai créé mon compte Snap public. Pseudo : Methodiya.

Des pièges de la Youtuberie et autres détournements de sympathie

J’aimais partager des choses sur les réseaux, alors je me suis mise à le faire à une échelle plus grande que celle de mon cercle familial et amical. En quelques minutes, j’avais ouvert un compte et, avec toute la facilité que l’on connaît à ces applications, j’ai commencé à publier du contenu. Je ne me suis posée aucune question avant de démarrer cette activité. En fait, ma génération est celle de la Youtuberie* et il n’est que trop « normal » de partager un bout de sa vie. On ne se demande plus s’il est souhaitable de rendre une part de soi publique. Notre visage, notre famille ou notre maison.
Quelles sont les limites à ce qui peut être « partagé » ou non ? Et quel mal à partager de toute façon ? Plutôt que d’y voir du mal, c’est au contraire une promesse de réussite que nous inspirent les réseaux sociaux. Les créateurs de contenu se voient offrir des opportunités personnelles et professionnelles alléchantes (voyages, cadeaux, reconnaissance publique, rémunération etc). Personnellement, je ne miroitais aucun de ces « privilèges » et, au contraire, j’ai toujours maintenu une sérieuse distance critique envers le monde de la Youtuberie. Si j’ai commencé à « partager du contenu », c’est sans penser à ce que je ferais ni pourquoi je le faisais. Il me semblait que je m’épanouirais si je pouvais créer, partager et avoir des interactions avec des personnes abonnées à mon compte. J’ai alors commencé à me faire une place dans l’univers des réseaux. Et j’ai expérimenté tous les pièges possibles qu’il avait semés sur mon chemin. Le premier, le plus pernicieux, c’est le piège de l’exposition personnelle. Montrer mon visage et un peu de ma vie me semblait sympathique et simplement naturel. Puisque je parle à des personnes alors pourquoi ne pas leur montrer la personne que je suis ? Oui mais voilà, sur les réseaux on ne parle pas qu’à des personnes, les cœurs sont souvent éteints. On parle à des spectateurs pressés de voir ce qu’on n’a pas encore montré et de juger le peu qu’ils voient déjà. Il y a aussi les personnes qui s’attachent et nous complimentent trop. La flatterie et l’admiration des uns sont sûrement aussi dangereuses que la haine et la mesquinerie des autres. On prend en plus l’habitude de compter sur la sympathie que l’on inspire aux gens pour faire passer des idées. Une idée est bien plus facile à partager quand un sourire complice vient l’accompagner. Avec le temps, me montrer m’a semblé devenir une tricherie en forme de détournement de sympathie. J’ai alors commencé à soustraire ma personne de mon contenu… Je voulais que ce que j’ai à dire soit transmis sans l’enveloppe de mon image.

Il est indécent de m’utiliser comme support d’une idée, surtout si elle est vraie ! La vérité nous pré-existe et n’appartient à personne. Alors, utiliser ma personne pour véhiculer des idées, voilà donc une attitude orgueilleuse qui ne sied pas au comportement du musulman et qui, de toute façon, est une pente terrible vers la malhonnêteté intellectuelle ! Aussi, j’ai commencé à préférer l’anonymat. Dès lors, j’ai arrêté de « partager du contenu », selon l’expression consacrée sur les réseaux sociaux, et j’ai commencé à imaginer comment « transmettre ».

Du « partage de contenu » à la « transmission de pensées et inspirations »

Sur les réseaux, les gens « partagent du contenu ». Ceux qui le font sont affublés du nom de créateur de contenu ou d’influenceur. J’ai toujours éprouvé une petite gêne envers ces dénominations même si, pour des raisons pratiques, il m’arrive de les utiliser. Toutefois, je ne peux m’empêcher de me demander ce qui se cache derrière l’expression de « contenu ». Il me semble que cela désigne tout… et surtout rien. Et puis, quelle est cette influence vers laquelle nous attire les fameux influenceurs ? En tant que musulmane, la seule influence que je recherche est celle qui me permettra de parfaire mon comportement et obtenir la satisfaction d’ الله le Très Haut. Alors, ceux que j’autorise à avoir sur moi la qualité d’influenceur doivent être propres de tout conflit d’intérêt et leur réputation doit être notoirement celle du noble comportement. Il en va de la réussite de mon passage sur Terre et de l’équilibre de mon cœur dont dépend ma mentalité, mon comportement et, in fine, toute ma vie ! Comment laisser mes yeux devenir la proie d’influenceurs alors que les enjeux sont si grands ? Aussi, je n’ai jamais suivi ces personnes et, malgré la viralité de leur présence sur les réseaux, je veille à détourner mon regard pour préserver mon cœur. En tant que « créatrice », j’ai dû à mon tour me poser la question de la nature de mon contenu. Qu’est-ce que je partage, en fait ? Et puisque ce que je ne veux pas pour moi, je ne le veux pas pour les autres, j’ai continuellement chercher à épurer mes partages. D’années en années, la maturité opérant par la grâce d’ الله le Très Haut, j’ai trouvé mon style et mon domaine. Je ne partage pas du contenu mais je transmets des pensées et des inspirations de style de vie. Aussi, il est clair que ces pensées et inspirations ne peuvent pas satisfaire tout le monde. Elles ne peuvent atteindre que les personnes qui se reconnaîtront dans l’expérience que je fais de ma vie de musulmane en France. Ces personnes que je ne côtoie pas au quotidien mais avec lesquelles j’échange sur les réseaux. Ces personnes qui me conseillent et qui m’influencent dans le bien comme j’essaie d’être pour elles une source d’influence bénéfique. Il m’est apparu clairement, avec l’expérience, que je ne me suis jamais adressée à des abonnés mais à des cœurs connectés.

Le temps de la fraternité en réseau

Dans ma vie de jeune femme musulmane en France, j’étais isolée. Je ne côtoie que peu de personnes au quotidien. La vie en ville nous prive de sociabilité. Nous vivons dans des appartements séparés, on se croise sur le chemin du travail. Le week-end on est souvent usé de la semaine écoulée, trop usé pour penser aux autres. Chaque minute doit être utile et rentable. De plus, la plus large part de ma famille vit par-delà la mer Méditerranée. J’ai eu les amies que mon parcours scolaire m’a permis de rencontrer, je les aime parce que l’enfance nous a lié de façon sûrement indélébile mais, à l’âge adulte, chacune a choisi sa voie et nos aspirations ont changé. On se retrouve pour préserver des liens du passé que l’on chérit ardemment mais… Avec qui parler des mystères de la vie ? Des observations du monde qui nous laisse pensif ? Où peuvent avoir lieu ces conversations dans un monde où personne n’a le temps ? Et où, en tout état de cause, les mystères n’intéressent plus personne ! Cette vie moderne n’a pas de place pour les mystères et l’étonnement. Chaque chose s’explique par la science et il faut y croire, un point c’est tout. Où sont donc les adorateurs d’ الله qui ne sont pas des adorateurs de la science ? Ces personnes dont les cœurs vivent encore et que je n’ai que trop peu vu à l’école, à la fac ou ailleurs dans mon environnement immédiat ? Je ne le savais pas encore mais, dans ma solitude, j’aspirais de toute mes forces à vivre la fraternité. Un mot privé de sens, privé de force. Un mot que l’on a réduit à un vague lien social inopérant, un vœu pieux venu d’une autre époque. Juste un mot dans un hadith qu’on répète mais qui ne dépasse pas notre gorge. Je ne le savais pas mais c’était la fraternité qui me manquait et la connexion des cœurs. Avec les réseaux sociaux, c’est ce que j’ai réussi à trouver par la grâce d’ الله le Très Haut, le Sage, le Généreux. Mon compte réunit des personnes qui partagent une même vision du monde ou qui, en tout cas, sont capables de parler pour exprimer leurs vues divergentes. C’est devenu un lieu plein de vie et plein de force depuis que la fraternité s’est invitée sur les réseaux ! Je crois profondément qu’un rassemblement de personnes en ligne qui partagent la même éthique produit des effets esthétiques extraordinaires. De grandes choses ont pu être réalisées par la grâce d’ الله ,des évènements très réels qui dépassent largement les frontières du numérique. On s’inspire, on s’aide, on se conseille et on grandit ensemble dans la voie d’ الله .

Cette histoire de réseaux sociaux s’achève ici, pour l’instant ! Ces derniers mots pour vous faire part de ma reconnaissance pour la qualité de nos interactions et tous ce qui devient possible depuis que l’on se connaît, al hamdouliLah. Qu’ الله nous préserve et raffermisse nos liens.

*Youtuberie : Ce terme désigne l’univers de Youtube où se mêlent illusions et autres pratiques malhonnêtes sur lesquelles se construisent une carrière. Les acteurs de la Youtuberie obtiennent ainsi des avantages personnels au détriment de l’attention des personnes qui visionnent le contenu mis en ligne. Paradoxalement, ce sont ces personnes qui rendent la Youtuberie possible. La youtuberie fera l’objet d’un prochain article in chaa الله.